"L'intrépidité était avec la bonté et la prudence sa caractéristique."

Témoignage de son Provincial

"On est malheureux en religion que si on se ménage ou si on se partage, que si on pense plus à soi qu'au Bon Dieu, que si on Lui refuse quelque chose, que si on n'est pas fidèle...  Autrement on goûte le Bonheur le plus pur qui puisse se rencontrer sur terre, celui qui confine le plus au Bonheur du Ciel..."

Mère Germaine de Jésus


Mère Germaine de Jésus - de Sonis - 1866 - 1945, la fondatrice du Carmel de Verdun

La fille du grand soldat chrétien que fut le général de Sonis nourrit une profonde admiration pour son père dont elle hérite le caractère bouillant et volontaire. On note dans son carnet, alors qu’elle n’a que 11 ans: “je combattrai mon orgueil, je serai charitable et soumise, et je tâcherai de toujours dire la vérité. Je serai fidèle à dire mon chapelet, à faire l’examen, à porter le scapulaire et à faire tous les jours la communion spirituelle avec une invocation au Sacré Cœur.” Germaine a en effet un tempérament "sanguin" qu’elle s’efforce de vaincre dès le plus jeune âge, à l’imitation de son père.

 

Elle devient très sage, pieuse, travailleuse, est reçue avec éloge au brevet (1883) et sa vocation religieuse s’affirme sous les yeux d’un père qui rend son âme à Dieu le 15 août 1887. Germaine est décidée, éconduisant ses multiples soupirants, elle entre au carmel de Laval en 1892; un carmel d'observance stricte où elle apprend humblement la pauvreté, l’humilité, l’obéissance: “On est malheureux en religion que si l’on se ménage ou si l’on se partage, que si l'on pense plus à soi qu’au Bon Dieu, que si l’on refuse quelque chose, que si l’on n’est pas fidèle. Autrement on goûte le bonheur le plus pur qui puisse se rencontrer sur terre, celui qui confine le plus au Bonheur du ciel”.

 

Elle part au carmel de Nancy (1897) où elle devient rapidement maîtresse des novices puis prieure (1901) au moment où la lutte anticléricale se déclenche. Il lui faut courir les routes de Belgique pour trouver un nouveau point de chute. Ces voyages sont l’occasion de lettres à ses religieuses qui montrent une grande exigence pour l’amour du Divin Maître: du caractère, de la volonté, tous les courages , des actes héroïques , mais tout cela emprunt d’une grande affection maternelle.

 

Le 15 août 1914, le carmel est au cœur de la bataille. Mère Germaine de Jésus n’hésite pas ; le carmel devient ambulance pour les soldats blessés. Les religieuses accueillent, donnent le peu qu’elles ont et se mettent entre les mains du Divin Maître. Les Français refluent et le carmel se retrouve, pendant 4 ans en territoire occupé par les allemands: suspicion de résistance, menace de fusiller ces “espionnes”, rien n’atteint la mère prieure qui, comme toujours, trouve la force de réconforter ses sœurs et de maintenir la joie dans l’adversité.

 

L’après guerre est pour Mère Germaine une course de 5 années de recherche, pour le retour de son carmel en France, malgré nombre de mauvaises volontés. Enfin, en 1923, le nouveau carmel peut s’implanter à Verdun.

 

A la mort de sa mère, en 1927, l’ouverture du tombeau étonna le fossoyeur par la lourdeur du cercueil du général. On vit qu’après presque 50 ans, le corps était intact, toujours souple. De 1929 à 1939, appuyée par l’évêque de Chartres, elle déploie toute son énergie à faire avancer la cause de béatification de son père. Cela ne la détourne en rien de son devoir de prieure tant apprécié par les sœurs. Redevenue simple moniale par humilité et obéissance à la règle en 1932, elle est réélue en 1935 et sera maintenue prieure par la communauté jusqu’à sa mort.

 

En 1940, l’invasion allemande remet les sœurs sur les routes; c’est l’exode avec son cortège de malheurs, de lâchetés et d’héroïsme. L’objectif des carmélites est Moulins; mais elles se retrouvent au Carmel de Lyon. Enfin, à l’automne 1940, bravant tous les dangers, Mère Germaine peut réintégrer le carmel de Verdun en zone interdite. Cette vieille femme, elle a 76 ans en 1941, se rend sans papiers, roulant allègrement l’occupant, à l’invitation de l’évêque de Chartres, toujours accompagnée de l’épée du général, pour conférer avec le vice postulateur de la cause de son père.

 

A partir de 1942, affectée d’un zona et d’une néphrite, elle se fragilise: une période douloureuse qui va durer trois ans sans l’empêcher de remplir sa tâche de prieure. Elle rend son âme à Dieu à 79 ans, à Noël 1945, laissant à ses sœurs ce testament: “Vous leur direz de ma part de s’aimer… d’autres seront peut-être plus austères, plus mortifiées, plus silencieuses, vous ce sera la Charité”.

Témoignage du chanoine H. François aux sœurs carmélites de Verdun - 1946

"Vous m’avez demandé, mes chères filles, de vous écrire au sujet de votre Mère. Je le fais bien volontiers…

 

Pour le dire tout de suite, vous garderez le souvenir de l’ardent patriotisme et de l’esprit de "résistance" de votre Mère.

 

Elle admira toujours le geste de l’Amiral d’Argenlieu, détesta cordialement le nazisme et toute sa ruse et salua d’une joie délirante, la délivrance de la France.

 

Française cent pour cent, elle souffrait de voir son pays ravagé par les divisions politiques et priait, souffrait afin que la France reprenne sa place chrétienne parmi les nations.

 

Ces traits indiquent déjà l’essentiel de la physionomie de votre Mère : une âme affectueuse, sensible, enthousiaste pour tout ce qui est noble.

 

Cette puissance d’amour, elle la portait évidemment tout d’abord sur Dieu. Elle vivait de sa foi. La gloire de Dieu la saisissait tout entière. Son oraison très simple était d’adhérence à Dieu, de conformité, de soumission filiale à sa volonté. Rien de compassé, ni de compliqué dans sa piété. La spiritualité de Dom Marmion fut la joie de ses dernières années. Elle goûtait tous les ouvrages de ce Saint Abbé et entrait facilement dans son esprit, c’était le sien, elle s’y reconnaissait.

 

Malheureusement, sa grande humilité, l’empêchait de parler de sa vie intérieure. Même avec moi, elle était peu loquace à ce sujet et encore moins, je le crois, avec vous.

 

Humble, elle l’était ; combien de fois elle s’affirmait, sincèrement, la dernière de toutes et ne s’appuyant en rien sur ses mérites, elle ne comptait que sur la Miséricorde divine.

 

La sagesse du Saint Esprit dominait en elle. Elle aimait chez les autres ces mêmes qualités de foi, d’amour sans étalage et d’humilité. Les voies extraordinaires la tenaient en suspicion, et les moindres manifestations d’orgueil chez ses filles, la révoltaient. Elle aimait Dieu, mais elle aimait aussi les siens et d’abord sa famille, selon la chair. Elle avait un tel esprit de famille … elle vivait du souvenir de son père où elle ne trouvait qu’à admirer. Mais sa mère, ses frères et sœurs, ses neveux et nièces possédaient son affection et son bonheur se portait vers tous ; leurs épreuves la touchaient profondément.

 

Elle aimait l’Ordre du Carmel ardemment, les moindres évènements étaient joie ou souffrance, surtout les Pères … Oh ! quand elle parlait des Pères elle était rayonnante. Quelle joie pour elle de savoir la Province en progrès. D’apprendre qu’ils étaient ‘’ résistants’’, quelle peine de leurs deuils, des souffrances de la mort du Père Jacques.

 

Elle aimait ceux qui avaient du cœur. C’était souvent sa manière pour elle de régler son affection et elle se réjouissait de voir que toutes, mes chères Filles, vous aviez du cœur.

 

Car elle vous aimait, elle vous aimait en tout, surtout quand elle vous reprenait. Cette sensibilité si vive en effet, servie par une belle intelligence et une volonté formidable. Elle réfléchissait beaucoup, consultait souvent (pas toujours) puis se taisait… Elle priait longuement, un ou deux jours parfois, puis elle agissait. « J’ai décidé ceci, j’ai fait telle chose.. » et c’était fait pour votre bien réel (pas toujours votre bien apparent)  votre bien réel, s’intégrant dans le bien de toutes, dans le bien de la Communauté. Elle savait que parfois elle faisait beaucoup souffrir et elle souffrait terriblement elle-même. Mais rien d’autre ne comptait que la volonté de Dieu qu’elle voulait accomplir en réalisant le bien de son cher Carmel.

 

Elle vous a passionnément et fortement aimées… parce qu’elle vous a aimés en Dieu.

 

Quand la souffrance physique s’est présentée, elle s’y est soumise tout de suite humblement et a baisé la main de Dieu. Elle savait que les « co-rédemptrices » que sont les Carmélites, ont droit à une bonne part de la Croix. S’il y eut parfois un fléchissement devant la longueur de la souffrance, ce ne fut jamais en considération d’elle-même, mais elle s’imaginait être à charge de la Communauté. « Je gêne les sœurs il vaudrait mieux que le bon Dieu me prenne. »

 

Elle passait parfois des journées entières écrasée par cette idée que j’essayais de combattre en elle, en lui rappelant combien vous aimiez à la posséder, même malade et combien il vous était fructueux de lui prodiguer vos soins.

 

De tout ce que je viens de dire ressortent facilement les désirs pour votre cher Carmel.

 

Elle vous veut fermes dans votre foi, prêtes à accepter tout de Dieu, même les plus grandes épreuves…épreuves extérieures… épreuves de santé et la mort.

 

Vous garderez un souvenir ineffaçable de sa sérénité devant la mort. Elle vous veut humbles. Humble la Mère Prieure, pour qu’elle marche sur ses traces, la servante de toutes, la plus dévouée de toutes, et humbles les Filles, prêtes à recevoir les bienfaisantes humiliations qui les rapprocheront de Dieu.

 

Elle vous veut unies dans l’affection mutuelle et laissez-moi vous affirmer que vous avez certainement donné une grande joie à votre Mère par l’affection qui rayonne entre vous depuis sa mort. Elle a traqué en vous les particularismes, elle a été dure parfois quand elle les soupçonnait, mais que lui importaient quelques larmes de ses filles si elle sauvait le grand principe de l’union.

 

L’esprit d’union lui importait plus dans les postulantes que l’amour de la mortification ou la hauteur de l’oraison.

 

Don total de vous-mêmes, humilité, affection mutuelle sont les bases du programme que votre nouvelle Prieure et moi-même voulons établir toujours plus fortement en ce Carmel afin que vive ici l'Esprit de Mère Germaine de Jésus."

 

Chanoine H. François.

Témoignage des sœurs qui retracent la vie de Mère Germaine de Jésus - 1946

Mère Germaine de Jésus, prieure et fondatrice de notre monastère, 10ème enfant du Général de Sonis a été rappelée à Dieu le 24 décembre 1945, à l’âge de 79 ans et 53 ans de vie religieuse.

 

Née à la frontière du désert à Laghouat (Algérie) où son père, le Colonel de Sonis commandait "le Cercle" dans ce poste avancé et dangereux en butte encore aux révoltes et incursions des tribus arabes. Elle naquit le 1er juin 1866. Son père lui donna le nom de Germaine « en souvenir, dit-il, de son pèlerinage à Pibrac. »

 

En 1870, son père nommé général, ramenait sa famille en France. Germaine avait 4 ans et elle se souvint de la traversée, de la montée dans le bateau portée dans les bras de son père où elle se blottissait, intéressée de voir la mer sous la passerelle.

 

Elle se souvint aussi (quelques mois après) du retour au foyer de ce père chéri, glorieux et amputé, après la célébré bataille de Loigny contre les armées prussiennes. Son petit cœur aimant et si tendre commença à souffrir.

 

Ce fut ensuite la Bretagne.

 

Après le guerre le Général fut nommé à Rennes. C'est là que Germaine commença à connaître le Carmel. Chaque semaine, à l’Hôtel de la Division, on voyait le Père Prieur des Carmes, le Père Daniel puis le Père Albert, accompagné parfois du jeune Père Constantin venir confesser le général qui tint toujours à avoir un poste lui permettant d'avoir les Carmes sur place pour sa direction spirituelle. Celui-ci disait à ses officiers d’ordonnance en prenant congé d’eux: « Messieurs je vais me confesser ». Après on passait dans le grand salon où Madame de Sonis entourée de ses jeunes enfants faisait les honneurs.

 

Mère Germaine s’en souvenait plus tard, et c’est de ce moment qu’elle commença à aimer les Pères et à s’attacher au Carmel dont son admirable père et plus tard Madame de Sonis elle-même seraient tertiaires. N’avait-elle pas à cette époque, ainsi que ses petits frères Jean et François et sa jeune sœur Philomène, la robe brune, le manteau et le chapeau blancs pour être comme les Pères Carmes et c’était leur bonheur!

 

Les 3 sœurs de Mère Germaine et elle-même ont fait leur éducation au cours du Sacré-Cœur: Marie à Poitiers, Magdeleine à Poitiers et à Rennes, Germaine et Philomène à Rennes et à Paris, rue de Varenne, où leur sœur aînée Marie était religieuse.

 

Chaque matin, à Rennes, Germaine était conduite à l'école par l’ordonnance qui la suivait à deux pas de distance et arrivée à la porte du couvent elle se retournait et disait gentiment: « vous êtes libre ». Un jour on la fit chercher en voiture, elle monta dans la voiture, le cocher était absent, le cheval partit à une allure folle, et Madame de Sonis épouvantée vit l’équipage au galop rentrer dans la cour de l’Hôtel sans accrocher les grilles et venir s’arrêter au pied du perron. La petite Germaine en sortit souriante et triomphante, ignorante du danger. Elle était déjà ce qu’elle fut toujours: intrépide.

 

Après Rennes, le Général fut muté à Saint-Servan où il habitat une grande propriété, l’Amelia, à l’embouchure de la Rance. Oh! Les belles et heureuses vacances qu’y passait cette jeunesse! Germaine en était le charme, adorée de ses frères, mais hélas bien trop vite il fallait penser à la rentrée. Elle versait des larmes amères à la pensée de quitter ses parents. Le Général en était ému et disait qu’il ne fallait pas l’éloigner de la famille. C’est toute l’ardeur de son cœur brûlant d’amour qui paraissait déjà et la faisait ainsi souffrir.

 

Elle était chérie de son père. Un jour, elle avait environ 14 ans, au repas de famille, les taquineries de ses frères la troublent, elle est prête à pleurer. « Germaine, dit la maman, parfaite éducatrice, ce n’est pas la peine de pleurer pour si peu. » Le Général l’appelle près de lui, lui prend la tête, la caresse; « ne pleure pas, lui dit-il, tu es ma petite consolation ». A 70 ans passés elle racontait à une de ses sœurs ce trait de sa jeunesse avec émotion.

 

Son père a donné des leçons à tous ses garçons et même à ses filles, non seulement de latin mais de mathématiques et d’algèbre. Il a donné des leçons d’algèbre à François, son dernier fils. Il prenait Germaine avec lui de l’autre côté du tableau et elle n’y comprenait pas grand-chose.

 

Puis, de nouveau, au grès des mutations, vient le déménagement de ses parents pour Limoges. Pendant que Philomène et Germaine furent transférées, au cours du Sacré-Coeur à Paris, en 1880.

 

Vers l’année 1882, Philomène ayant été souffrante quitta l'école du Sacré-Cœur de Paris pendant quelques mois et revint à la maison à Limoge. Germaine, quitta aussi cette école définitivement avant la fin de l’année scolaire 1882, non pas à cause de sa santé, mais à cause de son indiscipline: elle ne s'y plaisait pas. C'est alors que Philomène et Germaine sont allées comme externes chez les Sœurs du Sauveur, à Limoges, tout près de leur maison.

 

Et enfin, ce fut le dernier déménagement de ses parents vers Paris. C'est alors que Germaine demanda à son père de passer son examen du brevet. Il le lui permit. C'est pour cette raison qu'elle resta à l'école du Sauveur à Limoges quand ses parents quittèrent pour Paris.

 

Elle rejoignis définitivement la maison de ses parents à Paris après avoir réussit avec éloge son examen.

 

A Paris, elle accompagnait son père vieillissant, chaque jour à la messe. Il s’appuyait bien fort sur son bras, de plus en plus et c’était très lourd, disait-elle.

 

Le Général fréquentait à Paris La Chapelle des Carmes de la rue de la Pompe. Germaine y choisit pour confesseur le Père Raphaël parce qu’il était très jeune, à peu près de son âge et elle pensait qu’il serait moins sévère et surtout l’influencerait moins qu’un Père plus âgé et qu’il ne la pousserait pas à entrer au Carmel. Elle prit part à cette époque à une vente de charité que firent les Pères pour la construction de la chapelle définitive et elle nous racontait que le soir de la vente elle était entrée dans le confessionnal du Père Raphaël en toilette rose de vendeuse et que le Père l’avait grondée de se présenter en si belle toilette. « Ne me grondez pas, je ne viens pas me confesser, je viens vous raconter la vente! »

 

Le Père Raphaël, accompagné de Mme Anaïs de Sonis, la conduisit lui-même au Carmel de Laval en 1892. Sa décision était prise et elle était irrévocable. Elle confia sur le soir de sa vie: « Oh! S’il m’avait dit de descendre du train, que j’aurais été contente. » Un de ses frères n’avait pu arriver à temps pour la voir avant son entrée. On la fit sortir de la clôture et elle eut à subir ses assauts. Il la tirait par la main: « Viens avec moi, Germaine, je te ferai monter à cheval, viens… ». Elle fut ferme heureusement. Ce qui lui coûta le plus fut de quitter son frère Jean, malade, amputé de la jambe comme son père et auquel elle prodigua ses soins jusqu’à son entrée. Il mourut quand elle était novice et elle dit que si elle avait su qu’il mourrait si tôt elle ne l’aurait pas quitté.

 

Monseigneur Baumard, le biographe illustre du Général de Sonis, prêcha la Prise d’Habit de sœur Germaine et le Général de Charrette assistait à la cérémonie avec la bannière de Loigny. C’était le 18 octobre 1892.

 

En 1897, sœur Germaine vint au Carmel de Nancy où elle fut bientôt maîtresse des novices, puis prieure en 1901. A cause de la politique contre les congrégations religieuses non autorisées, en France, à ce moment là, Mère Germaine eut presque aussitôt à chercher un refuge pour sa communauté à l'étranger. Le Vicomte Maurice de Coëtlosquet lui fit don de 90.000 francs pour acheter le châteaux de Rouvroy, en vente, en Belgique, à 9 km seulement de Montmédy. Et Monseigneur Turinaz lui à donné l’obédience de s’y installer avec le noviciat en avril 1904, en attendant que toute la communauté de Nancy vint l’y rejoindre. La communauté du Carmel de Nancy n’ayant pas été obligée de partir se développa de son côté et ainsi il y eut deux Carmels au lieu d’un.

 

Grâce à la bienveillance de Monseigneur Heylen, évêque de Namur, Mère Germaine obtint pour supérieurs délégués les Pères Carmes qui fournissaient aussi, de leur couvent de Marche, en Belgique, les confesseurs extraordinaires et ordinaires. Le Père Conrad venait tous les 10 jours. Le Père Joachim nous confessa aussi un temps. Nous eûmes la visite du Père Jules avec les étudiants, Frère Allbert, Frère Joseph de la Vierge, Frère Ange-Augustin, Frère Théodore, Frère Jean de Jésus-Marie. Nous eûmes aussi le petit noviciat avec notre Père Elisée, Père Marie-Léon, Régis, et tous les autres, conduits par le Père Augustin et le Père Dominique. Nous vîmes le Père Cyprien, le Père Théodule, le Père Marie-Laurent, et le Père Jérôme pour de longs séjours. Notre R. Père Constantin venait pour toutes les cérémonies de la vêture, de la prise de voile, et pour les élections. Le Père Joseph de Rennes passait un mois de ses vacances à Rouvroy.

 

En 1910, le Saint-Père Pie X ayant promulgué son Motu proprio sur le chant grégorien, Mère Germaine lui adressa une supplique par le Père de Santé, fondateur et directeur de l’Ecole de Musique Sacrée à Rome, supplique demandant la permission de chanter le grégorien, nonobstant la coutume de l’Ordre et nos Constitutions qui ordonnent le recto tono et cela pour adhérer avec plus de perfection aux intentions et directives du Saint-Père. La réponse ne se fit pas attendre avec ces mots de la main même du Saint-Père: « Juxta preces in Domino - Pie X Pape ».

 

 

Il ne fallut pas peu de courage à Mère Germaine pour prendre seule cette initiative et pour supporter ensuite les plaintes et les récriminations des mécontents de cette innovation... Bien faire et laisser dire. Le silence fut la réponse aux « foudres séraphiques », comme disait Dom Mégret. Nous nous sommes mises à chanter avec un bonheur toujours renouvelé et Mère Germaine était récompensée par la joie et la consolation que nous trouvions dans les mélodies sacrées. Notre Père François de Sales, Provincial, lors de sa visite nous appelle « ses fauvettes ».

 

Survint la guerre de 1914. Les troupes françaises entrèrent en Belgique par Montmédy, le Carmel de Rouvroy devint une ambulance du Corps d'armée. Le 21 août 1914, la bataille fit rage à Virton. Les blessés arrivent, jusqu'à 500 environ. Toutes les salles de la communauté sont réquisitionnées ainsi que les cellules, les majors font leurs opérations à la salle du chapitre et les portes du chœur étant trop étroites pour entrer les brancards, Mère Germaine consent à ce que l’on scie les cloisons. La communauté se réfugie dans les caves pendant que Mère Germaine, comme le capitaine sur le pont de son navire en danger, passe la nuit dans le vestibule ou sous la véranda à surveiller ce qui se passe. Deux jours après un ordre de repli et l’ambulance se retire avant l’arrivée des allemands.

 

Toutes nos couvertures et paillasses avaient été prises pour les blessés. Pendant 3 semaines nous dûmes coucher sur le plancher. Nous étions jeunes et Mère Germaine nous donnait l’exemple de l’endurance.

 

Puis ce sont les 4 années de l’occupation, les réquisitions, les menaces et les perquisitions où brutalement Mère Germaine et plusieurs de nos sœurs sont alignées contre un mur et mises en joue, le 29 septembre 1914.

 

Après la guerre, tout de suite Mère Germaine voulut rentrer en France et ne demanda pas autre chose aux officiers qui vinrent lui demander quelle récompense elle voulait pour les services rendus à la France par l’ambulance en 1914: "Pas d’autre, dit-elle, que la liberté de rentrer dans notre patrie et de n’y être pas molestées."

 

De 1919 à 1924, époque de notre fondation à Verdun, ce ne furent que voyages et déplacements continuels jusqu’à Toulouse, après Semur, Senlis, Dormans, Luxeuil etc etc… Tous ces voyages ont été consignés par écrit par notre Père aumônier.

 

A Beauvais, Monseigneur Le Senne posait comme condition de renoncer à avoir pour supérieurs les Pères Carmes qui intriguent, disait-il, pour prendre les Carmélites sous leur obédience. Mère Germaine très indignée répondit qu'il fallait supplier, pleurer pour les avoir, et qu'elle en savait quelque chose puisqu'elle ne pouvait même pas obtenir la promesse qu'il accepterait de continuer à être les supérieurs délégués de notre Carmel.

 

En 1924 nous arrivons à Verdun et Monseigneur Ginisty nous accorde tout de suite et sans difficultés nos Pères Carmes pour supérieurs, persuadé que « les religieuses ne sont jamais mieux suivies que par les Pères de leur ordre ».

 

A Verdun c’était la France, mais nous nous trouvions loin de nos Pères Carmes! Notre Père Joseph vint assister à la bénédiction de la chapelle par le Cardinal Dubois le 8 octobre 1925. Notre Père Augustin prêcha un triduum pour Saint Jean de La Croix et fit la visite canonique. Notre Père Alphonse nous donna la retraite en 1932, puis le Père Brocard. Mère Germaine nous inspira dès les premiers jours de notre fondation à Rouvroy l’amour de notre saint Ordre et de nos Pères Carmes.

  

En 1929 Mère Germaine fut appelée à Chartres pour déposer au procès diocésain en vue de la béatification de son père, le Général de Sonis et assister à Loigny à l’exhumation de son corps. Elle avait eu l’intuition qu’il était conservé. Elle prit avec elle des vêtements pour l’en revêtir, dont elle avait elle-même astiqué et frotté les broderies d’argent et les boutons. Les frères, sœurs et neveux étaient aussi présents et ils se disaient: « quelle déception elle va avoir! ». Elle revit son père, après 40 ans, conservé intact, blanc, souple. Elle tint longuement ses mains dans les siennes et quand le corps fut redescendu dans la crypte sur les bras de ses fils et petits-fils elle soutenait sa tête. Lorsqu’elle nous revint après l’exhumation, elle était transfigurée par le surnaturel qu’elle avait touché et contemplé et resta plusieurs jours avec ce reflet céleste.

 

En 1939, de nouveau la guerre éclate

 

En 1940, elle avait décidé de ne pas partir, mais y fut contrainte par l’ordre d’évacuation générale de la ville. Arrivée à Lyon, au bout de 15 jours, elle laisse la communauté au Carmel de Fourvières et trouve le moyen de regagner Verdun, malgré le cardinal Gerlier qui voudrait la retenir. Il dit: « elle est intrépide, elle a le diable au corps ». Et elle, à 75 ans, forçant les consignes, franchit en fraude les 2 zones interdites. L’épée du Général ne la quitta ni à l’aller ni au retour. Elle trouva son monastère debout mais pillé. Aussitôt, elle organise le retour de la communauté, en même temps, elle s’occupe des prêtres-prisonniers et fait s’évader plusieurs séminaristes.

 

Le caractère de Mère Germaine a été admirablement dépeint par notre révérend Père Provincial: "L’intrépidité était avec la bonté et la prudence sa caractéristique". Elle ne connaissait pas la peur. La nuit du bombardement de Verdun, en 1944, alors que la maison oscillait comme un navire, clouée, impuissante sur son lit d’infirmerie au 1er étage, elle ne voulait pas être redescendue à la cave où nous étions réfugiées. « N’ayez donc pas peur, répétait-elle, il ne nous arrivera rien».

 

Elle avait eu une formation religieuse très sévère, très dure et très austère... Elle ne nous traita  jamais durement comme elle l’avait été, mais sa direction était virile. Elle reprenait avec force et indifféremment toutes ses sœurs, les anciennes comme les jeunes et n’admettait pas les échappatoires de l’amour-propre; il fallait s’humilier et reconnaître ses torts; alors, mais alors seulement on recouvrait sa grâce, sa bonté, sa bienveillance; tout était pardonné, oublié.

 

Elle était sévère pour le silence. Jamais on n’eût trouvé deux sœurs s’entretenant ensemble, pas de confidences, pas de conversations particulières à la récréation. Mais quelle bonté, quelle délicatesse, quelle compréhension, quelle largeur de vue! On pouvait tout lui dire, on était sûr d’être compris. Elle était bonne, très bonne pour les malades et dure pour elle. 

 

En fin de vie, elle endura un vrai martyre, du mois de juillet 1942 au 24 décembre 1945: les douleurs intolérables du zona, puis de la névrite du bras et de la main droite. La surdité, un commencement de cataracte qui lui enleva la possibilité de la lecture qu’elle aimait tant. Les deuils coup sur coup, deux frères, une sœur; enfin le 28 mai 1943 la fracture de la jambe, l’immobilité complète et l’impuissance totale.

 

Tout ce temps elle eut l’énergie de vivre, de s’occuper de sa charge, de faire ses chapitres, de voir ses sœurs à tour de rôle en direction, par un effort de volonté vraiment surhumain.

 

Elle s’occupait aussi dans ces longs mois de la cause de béatification de son père et mettait toutes ses dernières forces à témoigner sur son saint père, à réfuter ce qui n’était pas l’exacte vérité. « J’aime mieux qu’on n’écrive pas sa vie que de ne pas dire les choses telles qu’elles sont. » Pour son saint père, toutes ses forces, tous ses travaux. Rien pour elle: « Vous ne trouverez rien de moi après ma mort. » Ce ne sont pas ses paroles ni ses écrits qui la loueront mais ses actes. Son infirmière aurait voulu la faire parler d’elle mais elle gardait le silence. Elle était silencieuse, mais à la voir vivre, dans tout l’ensemble de sa vie, on sentait le cœur si grand, si grand!

 

Elle nous disait: « chaque communauté a son cachet particulier, les unes brillent par leur austérité, d’autres par leur amour du silence ou de la solitude. Pour nous, notre caractéristique ce sera la charité ». On écrira dans le cloître: ubi caritas et amor.

 

Quelque temps avant avant sa mort, elle a dit à dit à M. le Chanoine François en parlant de nous: « vous leur direz de ma part qu’elles s’aiment les unes les autres. » C’est son testament.